Félix Aulard, maire bonapartiste, soutenu par George Sand.
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Félix Aulard n’était pas un homme originaire de Nohant-Vic. Né en 1794 à Neuvy Saint-Sépulchre, son père avait été secrétaire de la sous-préfecture de La Châtre. C’est vers la fin des années 1840, qu’il semble s’être établi à Nohant-Vic où il était propriétaire de terres et de plusieurs maisons. Il habitait le bourg de Nohant, à proximité de la demeure de George Sand dont il était un voisin. Elle entre en relation avec lui en 1846 ; elle lui exprime dans une première lettre qu’elle lui rendra « tous les bons offices qu’on se doit entre voisins ». Quand il devient maire en 1848, leur amitié est déjà évidente. D’ailleurs, la romancière a fêté son élection avec ses proches. Il n’était pourtant pas du tout du même bord politique qu’elle : Mr Aulard était un fervent bonapartiste. Il fut un grand partisan de Louis Napoléon Bonaparte quand George Sand se désolait du régime autoritaire mis en place par le prince-président durant la Seconde République, puis par celui qui s’imposa Napoléon III, Empereur des Français sous le Second Empire. L’autoritarisme gouvernemental se répercute d’ailleurs sur l’administration communale : si les conseillers municipaux sont toujours élus, le maire et son adjoint sont à nouveau choisis par le préfet, y compris en dehors du conseil (décret du 7 juillet 1852). Le registre des délibérations du conseil municipal montre, à chaque page ou presque, la quasi idolâtrie que Mr Aulard vouait à la personne de l’Empereur et à celle de l’Impératrice Eugénie. Il prend souvent la plume pour s’adresser directement à Napoléon III, à grand renfort de « Sire » ou « Monseigneur ».
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​​​​​​​Cela n’empêche pas la romancière de désigner celui qu’elle appelait « son » « brave maire », comme étant son « excellent ami ». Elle évoque très souvent celui que tous les habitants de sa maison appelaient familièrement « le père Aulard » ou « Pater Aulardus ». Il est sans arrêt reçu à Nohant et compte parmi les principaux habitués du lieu. Durant les 7 années pendant lesquelles cet homme est maire, George Sand vit à Nohant quasiment toute l’année ; elle a pour compagnon le graveur Alexandre Manceau. Maurice, son ami le peintre Eugène Lambert, ou d’autres familiers résident presque à demeure chez elle. Elle reçoit beaucoup de personnalités de toutes sortes, issues du monde du théâtre, des arts ou de l’édition. Dans sa correspondance, elle rappelle souvent ce maire au bon souvenir de ses amis parisiens. Félix Aulard fut sans aucun doute, le maire le plus mondain de Nohant-Vic ! La pratique théâtrale bat son plein chez Sand à ce moment-là : il assiste à bien des représentations. Il participe aux anniversaires des membres de la famille ; à cette occasion il fait tonner un petit canon que George Sand a fini par lui acheter, celui-là même qui servit le jour de la fête de la République le 19 mars ! Il a passé régulièrement les réveillons du 31 décembre en leur compagnie et on ne compte plus le nombre de fois où il a dîné chez elle.
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La marionnette du Maire Felix Aulard ?​
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Durant son mandat, la romancière l’a soutenu et orienté, dans plusieurs de ses actions ou intentions.
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Dans le cadre des lois concernant l’obligation des communes à avoir une école primaire, Nohant-Vic se voit doté d’un instituteur pour la rentrée scolaire de 1849. C’est au conseil municipal de le choisir. Son choix s’est porté sur Eugène Jos, jeune homme que George Sand connaît bien puisqu’il s’agit du fils unique de son amie de jeunesse Ursule Jos. Durant son enfance, Ursule, nièce de la gouvernante d’Aurore de Saxe, avait été choisie pour passer du temps avec la petite Aurore. Les deux fillettes sont devenues très amies ; la romancière a, toute sa vie, entretenu avec Ursule, devenue couturière à La Châtre, des relations affectueuses. Elle lui portait une grande estime ; cette femme modeste a toujours compté parmi les familiers de la demeure. Eugène a fini sa formation à l’Ecole Normale de Bourges et il ne fait aucun doute que George Sand ait soufflé à l’oreille de Mr Aulard le nom de ce jeune homme pour être le premier instituteur de Nohant-Vic. D’ailleurs, « en attendant la construction de la maison d’école, l’instituteur serait logé par les soins de Madame Dudevant… ». Or, les choses ne se passèrent pas comme prévu… Alors que, selon George Sand, le préfet et le recteur du Cher s’étaient mis d’accord sur le nom d’Eugène Jos, le préfet fit machine arrière subitement. La romancière y voit une coterie contre elle de la part du comité d’instruction primaire qui s’était formé pour l’arrondissement de La Châtre. Ce comité, piloté par le sous-préfet, doit confirmer (ou pas…) les choix des communes relativement à leur instituteur. Or, dans ce comité, deux hommes dont George Sand ne comprend pas la nomination, ont été acceptés par la sous-préfecture : le fils d’Estève _l’ancien maire_ et le fils de Blanchard _l’ancien adjoint_. Au départ, c’est Maurice et Estève fils que Mr Aulard avait désignés pour faire partie de ce comité, « comme les deux seules personnes un peu lettrées de la commune », même si « les lettres d’Estève ne vont pas loin… ». Mr Raoux, secrétaire de la sous-préfecture _et ancien secrétaire de la mairie de Nohant-Vic limogé par Maurice un an avant_, a proposé Blanchard fils « qui ne sait ni lire ni écrire » et « qui n’est qu’un soûlard » à la place de Maurice. George Sand est convaincue que ses ennemis politiques d’hier se sont associés pour convaincre le sous-préfet de ne pas suivre le choix du conseil municipal de Nohant-Vic, et donc le sien. Eugène Jos ne fut pas nommé instituteur de Nohant-Vic. Deux ans plus tard, alors que le choix de l’emplacement de l’école communale n’est toujours pas arrêté entre les bourgs de Nohant et de Vic, le registre des délibérations du conseil municipal nous apprend, à la date du 10 août 1851, que Madame Dudevant a renoncé à offrir à la commune un terrain de 18 ares, situé à 200 mètres du bourg de Nohant, pour construire cette école. Le registre précise qu’elle a changé d’avis pour des « considérations inutiles à développer ici… ». George Sand a dû être particulièrement déçue et contrariée de la non-nomination du jeune Jos comme instituteur de son village. Il était très évident pour elle qu’il soit maître d’école au bourg de Nohant, où il aurait pu habiter et où sa mère aurait pu si facilement le voir : elle l’exprime ainsi dans une lettre à un ami. On comprend alors que sa contribution au logement de l’instituteur et à la construction de l’école à Nohant, était conditionnée par le choix de ce jeune homme. L’école fut finalement construite à Vic quelques années plus tard sans que George Sand s’en mêle…
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Quand à l’automne 1849, Mr Périgaud, curé nouvellement nommé à la cure de Vic, trouva les belles fresques dans son église qui était en très mauvais état, le père Aulard et George Sand furent les premiers informés. Le 15 novembre, elle renseigne Pauline Viardot _souvent accueillie à Nohant_ de cette incroyable découverte. Elle lui explique comment le maire, le curé, Maurice et des familiers de Nohant font tomber le badigeon « par grandes plaques » ; « perchés sur des échelles », ils grattent en s’exclamant : « Moi, j’ai la tête ! Moi j’ai le prophète David ! ». George Sand précise : « C’est très amusant de voir tout ce monde fantastique sortir de la muraille… ». Début décembre, elle est à Paris et plaide la cause de « son » église auprès des architectes en charge des Monuments Historiques, au Ministère de l’Instruction. Le classement de l’église de Vic se fit en un temps record, sans qu’aucun architecte ne se déplace ! Des fonds ont ensuite été engagés pour restaurer l’église dont le toit menaçait de s’effondrer. A l’occasion de la pose de la première pierre des travaux de restauration, une cérémonie mettant particulièrement George Sand à l’honneur, eut lieu en grandes pompes à Vic, le 28 août 1851. A l’endroit où le chantier avait lieu, la romancière donna les premiers coups de marteau à cette pierre sur laquelle son nom avait été gravé. Un article publié dans L’Echo de l’Indre du 4 septembre 1851 relate le déroulement de cette cérémonie et donne le discours prononcé par Félix Aulard. Les propos grandiloquents du maire ont dû mettre bien mal à l’aise George Sand qu’il qualifie de « bienfaitrice » à chaque ligne ou presque… Un peu plus tard, alors que les travaux de restauration n’allaient pas aussi vite que prévus, la « bienfaitrice » s’adressa directement au Ministre de l’Instruction publique et des cultes, en charge de ces travaux, pour le rappeler à ses obligations. En février 1852, elle écrit à Mr Fortoul, qu’elle connaissait depuis longtemps, d’être « assez bon pour avoir égard aux réclamations de mon brave maire et ami, et aux rhumatismes de mon curé, sur lequel la pluie tombe, faute de couverture à son église, ce qui est d’un christianisme trop primitif… ». Elle accompagnait cette piqûre de rappel d’une loge pour la première représentation à Paris d’une de ses pièces de théâtre.
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Les fresques restaurées en 2024​​
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Au printemps 1852, Félix Aulard voudrait faire établir un bureau de poste dans la commune. George Sand, plus grande épistolière de Nohant-Vic et peut-être de l’arrondissement de La Châtre, voire du département !… le met en relation avec l’Inspecteur des postes de l’Indre, mais ce projet n’aboutira pas du vivant de la romancière.
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C'est sous le deuxième mandat d'Aulard (réélu conseiller municipal durant l'été 1852, il est nommé maire par le préfet), que George Sand démarcha la municipalité afin de procéder à un échange de parcelle aux abords du cimetière de Nohant. En janvier 1855, elle eut la grande douleur de perdre sa petite-fille adorée, Jeanne-Gabrielle Clésinger, la fille de Solange. Morte d’une scarlatine mal soignée à l’âge de 6 ans, l’enfant fut inhumée dans le cimetière communal de Nohant, à côté des tombes de la grand-mère et du père de Sand. Or, l’endroit était vraisemblablement très mal entretenu. Alexandre Manceau évoque l’état d’« insalubrité » de ce cimetière et la profanation des tombes par les nouveaux morts enterrés. George Sand acquit à un propriétaire voisin de son domaine, une portion de terre contigüe au cimetière, grande de 57 mètres carrés. Le conseil municipal accepta cette parcelle en échange de la « concession perpétuelle de la partie du cimetière contigüe à [son] jardin, sur laquelle s’étendent plusieurs ifs, et où ont été inhumées déjà des personnes de [sa] famille ». Ce bout de terre étant deux fois moins étendu que celle donnée par la romancière, la commune put agrandir le cimetière. C'est sous le mandat du maire remplaçant Félix Aulard durant l'été 1855 que la décision fut exécutée.
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​​Si Mr Aulard fut un maire très investi , le registre des délibérations du conseil municipal en témoigne tout au long de ses exercices_, il a aussi été parfois dénigré par quelques-uns de ses administrés. Il put compter alors sur l’indéfectible soutien de George Sand. En juin 1852, alors qu’il semble accusé à tort « d’un fait entièrement faux », elle souligne son « admirable ponctualité administrative », sa « loyauté inébranlable », et le « dévouement » qu’il a « montré en toutes occasions à [ses] administrés ». Elle poursuit en écrivant : « Entre tous, j’aurais à en témoigner, car j’ai trouvé en vous, dans les diverses circonstances que nous avons traversées, une intégrité bien rare en dépit des dissidences d’opinions, et un esprit de justice qui commanderait le respect aux esprits les plus mécontents et les plus irritables. Comptez que mon estime et mon amitié ne vous feront jamais défaut. Puissent-elles vous consoler des ennuis et des tracasseries qui vous éprouvent ! ». Fort de cette considération de la part de l’administrée la plus célèbre et influente de sa commune, il ne fait aucun doute que Félix Aulard était très flatté de faire partie des proches de Sand. Il semble lui avoir porté une réelle et profonde affection, ainsi qu’une grande admiration.
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Si elle lui a porté une indéniable amitié, le qualifiant d’ « excellent homme » et soulignant souvent son « bon cœur » et sa « loyauté naïve », la romancière nous laisse aussi le témoignage d’un homme singulier, avec des attitudes parfois un peu étranges prêtant à rire… Elle a d’ailleurs quelquefois qualifié le père Aulard de « toqué » et a souvent eu des propos moqueurs à son encontre. Les écrits de Sand nous livrent le portrait d’un homme atypique dans la campagne de Nohant-Vic, qui prend vit sous sa plume. « Pater Aulardus » aimait beaucoup écrire des poèmes. A de nombreuses occasions, il écrivait des vers qu’il offrait à George Sand, en particulier pour son anniversaire ou le réveillon, mais qui n’étaient peut-être pas toujours de très bon goût… Ainsi, en décembre 1853, elle écrit à Eugène Lambert pour l’informer que « le père Aulard a dîné aujourd’hui avec nous. Il fait toujours des sonnets à charretées, et toujours plus bêtes… ». George Sand lui offre parfois des poèmes dont il est tellement touché qu’il en pleure ! Vraisemblablement cet homme devait avoir des ambitions littéraires. A l’automne 1853, après avoir assisté à la pièce de théâtre Le Pressoir que George Sand a fait jouer à Paris au théâtre du Gymnase, le père Aulard a écrit un article pour L’Echo de l’Indre. Signé avec le pseudonyme C. Jus, ce texte est très élogieux et plein d’affection vis-à-vis de la romancière, mais il est aussi très mal écrit et tellement pompeux qu’il prête à sourire.
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En mars 1854, George Sand écrit à Maurice sur un ton moqueur que le père Aulard est bien embêté car le curé lui a demandé d’acheter « douze douzaines de boutons de soutane », mais il en a fait venir « douze douzaines de douzaines » ! Le curé ne les veut pas, le maire est furieux ! Voilà les deux hommes brouillés et Nohant-Vic devenu le théâtre d’un remake de Don Camillo ! « Quelles amitiés peuvent bien résister à de si funestes circonstances ?... » écrit la romancière en se moquant de la situation. Finalement, « le père Aulard s’est fait débitant de boutons de soutanes. Il ne les vend pas, il les donne ! Quel camouflet pour le curé ! On parle de la guerre avec les Russes ! (11) Ah Bah ! Nohant est le théâtre de luttes bien autrement graves. Balzac aurait écrit 20 volumes avec un type comme le père Aulard… ».
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Procession pour Sainte-Anne en 1900, photo de Gabrielle Sand
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​​En juillet 1855, Félix Aulard fut brutalement destitué de sa fonction de maire par le préfet. George Sand note dans son agenda, à la date du 11 juillet : « Le père Aulard est destitué ! Dieu que les gouvernements sont bêtes… ». Le lendemain, il vient la trouver pour lui « conter ses peines ». Elle se dépêche d’écrire au Prince Jérôme Napoléon, cousin de Napoléon III, pour défendre sa cause : « C’est le plus honnête homme de la Terre…, dévoué avec enthousiasme à un gouvernement qui… ne récompense que les gens qu’il croit douteux, laissant de côté ceux dont il est sûr… ». Elle voudrait, afin de « réparer cette injustice et de dédommager ce digne et excellent homme qui a dépensé tout son petit avoir pour les pauvres de la commune », qu’il soit nommé préfet ou sous-préfet, car « personne n’entend mieux l’administration »… A sa fille Solange, elle écrit que « le pauvre père Aulard est dégommé. Ruinez-vous donc pour une commune et soyez donc enthousiaste d’un gouvernement !... ». Plusieurs autres maires de l’arrondissement ont été destitués en même temps que lui, puis ce fut au tour du préfet d’être remplacé. George Sand s’interroge sur les raisons de ces « révolutions ». Elle est bien désolée de ce qui lui arrive car « à travers ces excentricités, c’est un administrateur modèle et personne plus que lui n’est dévoué à la personne de l’Empereur ». Quoiqu’il en soit, le père Aulard qui rêvait d’un poste de sous-préfet ne l’obtint jamais, de préfet encore moins…
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Dans les années suivantes, il continue de dîner chez sa voisine, d’y passer ses soirées, d’assister à beaucoup de représentations théâtrales. Finalement, devenu veuf en 1859 _son épouse devait être très discrète, George Sand ne l’évoque jamais…_, il refit sa vie et s’établit à Cuzion en 1862.
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Vinciane Esslinger
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Autres éléments d'informations données par la propriétaire actuelle de la maison
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C’est Claude-Narcisse Aulard, receveur particulier à La Châtre, qui achète d’abord la maison aux héritiers Dumay le 18 avril 1846. Il la revend ensuite à son frère, Claude-Félix Aulard, le 12 octobre 1852, alors maire de Nohant-Vic depuis 1848. Si l’acte de vente précise que « Mr Aulard, l’acquéreur, a déclaré parfaitement connaître les immeubles qui lui sont présentement vendus pour les avoir vus et visités […] », on peut raisonnablement penser qu’il y résidait dès l’été 1846, quand George Sand l’assure de lui « rendre tous les bons offices qu’on se doit entre voisins » (21 août 1846, tome XXV, pp. 483-484).
La ferveur bonapartiste de Félix Aulard est parvenue jusqu’à nous sous une forme inattendue. D’après la tradition orale transmise de propriétaire en propriétaire, Monsieur Aulard aurait planté, à l’occasion du sacre de Napoléon III le 2 décembre 1852, l’if monumental qui se dresse aujourd’hui dans le jardin. Symbole d’éternité…
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"Première page du recensement de population de 1851, mentionnant en premier lieu, au bourg de Nohant, le nom du maire vivant en son foyer avec une domestique".
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