top of page
 20250402_094240 web.jpg

Le Cabaret de la Biaude

Par Vinciane Esslinger,

guide-conférencière à la maison de George et Maurice Sand

  • Facebook
  • Twitter
  • LinkedIn
  • Instagram

Cette propriété donnant sur la grande route de Châteauroux à La Châtre, fut un cabaret tout au long du 19ème siècle et au-delà. Géré par la famille Biaud durant plus de 100 ans, l’endroit était connu dans le village comme « le cabaret de la Biaude », ce nom distinguant particulièrement les tenancières qui l’ont géré à travers le temps. C’est à la féminisation habituelle des patronymes en Berry que l’on doit ce nom de « Biaude ». En effet, ce sont en effet des femmes, appartenant à trois générations différentes, qui ont tenu ce cabaret : Solange Soulas épouse Biaud (1767–1831), Françoise Caillaud épouse Biaud (1803-1870), et Louise Biaud (1838-1924).

​

Les registres d’état civil et les recensements de population de la commune, ainsi que les témoignages toujours précieux de George Sand, apportent quelques renseignements, qu’on voudrait plus nombreux ! à propos de l’endroit et de ses tenanciers. Vivant au voisinage du cabaret, la romancière nous apprend que ce lieu était avant tout l’habitation de la famille Biaud ; information que le cadastre confirme. Elle a entretenu tout au long de sa vie, de multiples relations avec plusieurs membres de cette famille. Sa nombreuse domesticité a compté quelques-uns d’entre eux. Ses lettres, tout en révélant quelques anecdotes relatives à leurs existences, nous permettent de suivre l’évolution de cette famille à travers le temps et les générations qui se succèdent.

​

Un cabaret, dans les campagnes du Berry au 19ème siècle, était un débit de boissons où les clients pouvaient également se restaurer. Le cabaret de la Biaude était aussi un lieu où l’on pouvait dormir ; l’endroit peut donc être considéré comme une auberge. Ses propriétaires sont d’ailleurs, tout au long du siècle, recensés comme « cabaretiers » ou « aubergistes ». Le cabaret de la famille Biaud fut le seul établissement de ce genre dans le bourg de Nohant jusque dans les années 1860.

​

cabaret de la biaude_nohant_amis de nohant_1.jpg

                             Carte postale montrant le cabaret de la Biaude dans les années 1910

cabaret de la biaude_nohant_amis de nohant_2.jpg

Sur cette portion du plan cadastral du bourg de Nohant (1841),    on distingue nettement le bâti  appartenant à George Sand, dépendant du « château ».

Les parcelles 340, 341, 342 et 346   lui appartenaient aussi.

Les parcelles 343, 344, et 345, longeant la route,  étaient propriétés de la famille Biaud.

Les cabarets étaient les lieux de sociabilité par excellence au sein des communautés villageoises et paysannes. Leur clientèle était surtout issue des classes laborieuses qui avaient toutes sortes d’occasions, rituelles pour certaines, de s’y rendre : naissances ou enterrements par exemple. Ces lieux étaient surtout fréquentés les dimanches et les jours de fête, c’est-à-dire les jours de repos. Ces jours-là des musiciens pouvaient régulièrement animer le lieu. Dans la campagne de Nohant, il s’agit bien sûr essentiellement de cornemuseux ou vielleux.

​

George Sand ne dit rien de ces moments de festivité au cabaret de la Biaude, mais l’endroit devait ressembler à tous les autres. Si la romancière a pu rendre visite aux membres de la famille Biaud, il est très improbable qu’elle ait fréquenté leur cabaret. D’une part car les femmes vont très peu en cet endroit, jamais seule, cela était mal considéré. D’autre part car sa position de grande notable au sein de son village n’était pas compatible avec un lieu aussi populaire. Elle n’y avait pas à sa place, et le savait mieux que personne. Cela ne l’empêchait nullement de bien connaître la vie de ces petits cabarets de campagne.

​

Dans le roman Les Maîtres sonneurs, l’écrivaine restitue avec beaucoup de vérités quel lieu de rendez-vous très animé parfois, voire dangereusement fréquenté, pouvait être un cabaret de village en campagne du Berry. Toutes les pages du roman consacrées à l’auberge du Bœuf Couronné qu’elle situe à Saint-Chartier, village voisin de Nohant, tenue par maître Benoît, rendent compte de la gestion et de la sociabilité du lieu. Il s’avère que l’auberge du Bœuf couronné existait réellement à Saint-Chartier à l’époque où George Sand rédige ce roman ; elle était même tenue par un dénommé Jean Benoît, bien connu de la romancière ! Elle a donc transposé cette auberge et son tenancier dans son roman.

​

Elle a également transposé le cabaret de la Biaude dans Les Maîtres sonneurs, sans donner malheureusement assez de détails pour nous contenter, mais nous pouvons nous consoler grâce à un très beau dessin de son fils, Maurice Sand, montrant l’intérieur du lieu, un jour de fête. Cette image est précieuse puisqu’elle nous montre, de façon détaillée, le lieu de réjouissances paysannes qu’était ce cabaret au bourg de Nohant.

​

C’est dans les années 1820, alors que George Sand ne songe pas encore à devenir écrivaine, qu’elle commence à nous renseigner sur les membres de la famille Biaud. La jeune femme est tout juste mariée avec Casimir Dudevant et maman d’un petit Maurice né en juin 1823. Le couple Dudevant et leur fils vivent alors entre la région parisienne et Nohant ; ils séjournent également dans le Lot-et-Garonne, à Guillery, dans la demeure paternelle des Dudevant. Pour les soins que demandent son fils, George Sand recrute une domestique nommée Françoise Caillaud, dite Fanchon, sœur d’André Caillaud qui lui est à son service depuis toujours. La famille est du bourg de Nohant. Fanchon, âgée de 20 ans, s’occupe particulièrement bien du petit Maurice. Elle quitte son village, situation extraordinaire pour une paysanne à l’époque, pour vivre aux côtés de ses maîtres, où qu’ils soient ; elle les a même accompagnés lors d’un séjour dans les Pyrénées en 1825.

​

En 1827, Fanchon se marie avec un dénommé Sylvain BIAUD, natif de Nohant, cantonnier. Il était né en 1801. La déclaration de sa naissance consignée dans le registre de l’état civil nous apprend que ses parents, Louis Biaud et Solange Soulat, étaient « cabaretiers de profession ». Au moment du mariage de Sylvain, son père est décédé, et sa mère est désignée comme « cabaretière au bourg de Nohant ». Sachant que Louis Biaud est mort à l’âge de 46 ans en 1812, il est probable que sa veuve est tenu le cabaret dès ce moment-là. La première Biaude cabaretière au bourg de Nohant est donc Solange Soulas, épouse Biaud, la mère de Sylvain, l’époux de Fanchon.

cabaret de la biaude_nohant_amis de nohant_3.png

Page du registre d’état civil de l’année 1827 pour la commune de Nohant-Vic ; mariage de Silvain Biaud et de Françoise Caillaud.

Fanchon et Sylvain eurent rapidement des enfants, beaucoup d’enfants ! Ils eurent 7 enfants dont 6 filles. Solange est née en premier, très vite après le mariage, puis vinrent au monde Marie, Sylvain, Anne, Louise, Lucie, et Marguerite, la petite dernière, née en 1844.

​

En septembre 1828, George Sand fut maman une seconde fois d’une petite Solange. Fanchon qui assista sa maîtresse lors de l’accouchement, s’occupa assez peu de temps de la fillette. Elle fut vite remplacée par une autre jeune femme du village entrée au service de la romancière l’année précédente. Fanchon a sûrement arrêté de travailler afin de s’occuper de son propre foyer et peut-être pour seconder sa belle-mère au cabaret. Cette dernière est décédée en 1831, il est donc probable que le cabaret fut tenu par Sylvain et Françoise Biaud à partir de ce moment-là.

cabaret de la biaude_nohant_amis de nohant_4.jpg

Extrait de la matrice cadastrale (1843) de la section C du plan cadastral, donnant les noms des propriétaires de chaque parcelle.

Le métier de cantonnier de Sylvain l’obligeait souvent à se déplacer : il ne devait pas être si présent que cela au cabaret. Dans une lettre de George Sand adressée au préfet de l’Indre en 1846, elle nous apprend qu’il est « chef cantonnier ambulant, sur la route n°6, d’Issoudun à Eguzon ». Elle défend sa cause car son chef semble l’avoir pris en grippe et l’a dénoncé pour révolte et refus de travail. Il s’avère qu’il était alors très malade et George Sand affirme au préfet l’avoir elle-même soigné. Du coup il est menacé de perdre sa place alors qu’il a une nombreuse famille à nourrir. Elle demande au préfet de s’inquiéter de son sort, ce qu’il a fait !

​

Les recensements de la population de Nohant-Vic (1) mentionnent Sylvain Biaud comme « cantonnier » jusqu’en 1851. Lors du recensement de 1856, il est désigné comme « cabaretier ». Il avait alors 55 ans, âge avancé pour un homme né en 1801, et ne devait plus exercer son activité de cantonnier. Son épouse, Françoise Biaud, la Fanchon de George Sand, a dû tenir le cabaret sans son époux jusqu’à cette époque-là. Le recensement de 1851 la distingue d’ailleurs comme « cabaretière ». De 1831 (année de la mort de sa belle-mère) à 1856, Françoise est donc la seconde Biaude à tenir le cabaret. Les époux Biaud ont ensuite géré l’établissement ensemble, jusqu’à la mort de Françoise en 1870, décédée 14 ans avant son époux. Jusqu’au dernier recensement avant sa mort en 1884, Sylvain est désigné « aubergiste » ou « cabaretier ». Le registre d’état civil le distingue encore ainsi à son décès : il avait 83 ans !

 

Le métier de cabaretier dans les campagnes était surtout une activité complémentaire par rapport à une autre. C’est bien le cas pour la famille Biaud. Les cabaretiers en question n’emploient pas de personnel : l’entreprise est familiale. Avec sept enfants, dont six filles, les Biaud n’ont pas dû manquer d’aide.  

​

Dans les années 1840, George Sand emploie à son service, comme femme de chambre, la fille aînée de Sylvain et Fanchon : Solange Biaud. Il s’avère que son parrain est le fils de la romancière. En 1845, Solange épouse François Joyeux, sabotier de métier. Leur noce eut lieu chez Sand, très sûrement à ses frais, étant donné les liens qu’elle avait avec cette famille. Solange ne resta pas longtemps à son service car elle avait entrepris, avec la complicité de son époux, de voler de la farine, du linge, de la chandelle. Elle fut remerciée en 1848.

​

C’est sûrement à cette période que Maurice Sand réalisa ce dessin extraordinaire dit du « cabaret de la Biaude » (2). Il est probable qu’il ait fréquenté l’endroit. Fanchon était sa bonne quand il était enfant ; il a grandi à proximité de l’endroit. Dans ces années-là, Maurice est un jeune homme de 20 ans, dessinateur averti depuis toujours, formé à la peinture par Eugène Delacroix. Il a passé l’essentiel de son existence à Nohant dont, tout comme sa mère, il a assidûment fréquenté les habitants. Sa position de fils de la grande propriétaire foncière du village lui permettait d’être admis dans bien des familles ; il semble avoir eu des relations très simples avec ses voisins paysans. Il s’est appliqué à dessiner bien des aspects de leur vie quotidienne, y compris le cabaret qu’ils fréquentaient.

 

cabaret de la biaude_nohant_amis de nohant_5.jpg

Maurice Sand en 1845

Au moment de l’avènement de la Seconde République en février 1848, Maurice Sand est nommé maire de son village. Dans le cadre de cette fonction, il a développé des liens évidents avec la population. Il a commandé la petite garde nationale de sa commune, a créé un corps de pompiers auquel il a appartenu pendant plus de 20 ans. Bien des occasions d’aller au cabaret de son village se sont donc présentées à lui.

cabaret de la biaude_nohant_amis de nohant_6.jpg

Dessin dit du « cabaret de la Biaude » par Maurice Sand (2)

A l’automne 1850, George Sand raconte à un ami qu’un homme désireux de s’entretenir avec elle d’un problème relatif à une de ses pièces de théâtre jouée à Paris, est arrivé chez elle depuis la capitale, à 7 heures du matin, transi de froid. La romancière n’étant pas disposée à le recevoir d’aussi bonne heure, il trouva refuge « chez la Biaude au cabaret qui est sur la route. Il demande à manger. On lui sert du pain, du fromage et le vin du cru, qui est très cru… ». Elle a envoyé quelqu’un le chercher une fois qu’elle fut prête à le recevoir.

​

Quelques semaines plus tard, George Sand évoque encore ce cabaret dans une lettre à Maurice : elle lui raconte comment deux de ses domestiques ont fait tourner en bourrique un de leur collègue. George Sand employait alors, depuis deux mois seulement, un cuisinier prénommé Ferdinand mais qu’elle renvoie dans les premiers jours de décembre car il ne fait pas du tout l’affaire. Le matin de son départ, alors que la veille il s’était déjà bien fait chahuter par ses collègues, ces derniers s’amusent à lui faire encore une mauvaise blague. Ils lui font croire qu’un de ses amis va le rejoindre au cabaret avant qu’il ne s’en aille définitivement de Nohant et que l’ami en question lui demande de se faire « préparer un bon petit déjeuner chez la Biaude », en attendant de le rejoindre. Ferdinand a donc « été commander du vin chaud sucré, et autres gueulardises qu’il a été obligé de payer et de boire seul… » puisque le copain n’est jamais venu !...

 

La romancière confirme bien l’idée que c’est essentiellement le vin issu des vignobles locaux, sans grande qualité, qui était consommé dans les cabarets de sa campagne, dans un article de presse publié en 1857. Le texte relate la fête qui avait lieu sur la place du bourg de Nohant, chaque dernier dimanche de juillet, lors de l’assemblée de la Sainte Anne, vocable de l’église. George Sand écrit que cette assemblée n’était pas toujours très fréquentée car elle se tient au moment des moissons ; dès lors, « le cabaretier » qui installe sa « ramée » à l’occasion, n’y faisait pas forcément « de brillantes affaires ». Elle donne quelques détails à propos des boissons consommées : « Bien qu’il offre aux consommateurs liqueurs, bière et café, nos paysans, qui ne sont guère friands de ces nouveautés… préfèrent le vin du cru, qui se débite au pichet dans les cabarets de la localité… ».

​

Au printemps 1851, George Sand fait à nouveau allusion au cabaret de la Biaude. Sa fille voudrait passer un mois chez elle avec ses chevaux et son domestique d’origine anglaise. Or la romancière ne souhaite pas introduire sous son toit un domestique étranger au pays car, à chaque fois, cela crée des problèmes relationnels avec les domestiques autochtones… Elle s’inquiète donc de trouver un logement potentiel à ce domestique. Après s’être renseignée en plusieurs endroits, elle écrit à sa fille le propos suivant : « Si ton Anglais n’est pas trop aristo, j’ai trouvé chez Fanchon un lit qu’on promet propre et qui peut être transporté dans une chambre à part de la famille. Elle se chargerait de nourrir l’homme comme il voudra… ».  Avant de trouver cette solution d’hébergement, George Sand s’était inquiété de connaître les conditions d’hébergement à l’auberge de Saint-Chartier. Le propos est intéressant puisqu’il nous nous donne une indication des prestations et des prix pratiqués : l’aubergiste « demande pour bien nourrir l’homme à la viande et au vin 50 f. par mois. Autrement, à l’ordinaire berrichon c’est-à-dire soupe, vin, légumes et fromages, 30 f. …  Autant que j’ai pu comprendre, la chandelle et le logement serait compris dans les 50 f. qu’on demande. C’est très cher pour le pays… ». Il est bien probable que les prix chez Fanchon étaient moins chers.

​

En 1853, George Sand rédige le roman Les Maîtres sonneurs, roman culte si l’en est. Consacré à la musique populaire en Berry et Bourbonnais, il met à l’honneur les talents artistiques de certains cornemuseux. La romancière met en scène des hommes illettrés aux conditions de vie laborieuses et précaires qui n’en étaient pas moins des musiciens de génie. Le cadre du roman est en partie le bourg de Nohant puisque les héros berrichons sont originaires de ce village. Une partie du texte, particulièrement dédiée à la fête, la musique et la danse, met en scène le cabaret de Fanchon !           

cabaret de la biaude_nohant_amis de nohant_7.jpg

Portrait de George Sand en 1852

Première page du manuscrit autographe du roman Les Maîtres sonneurs (BNF)

Le beau et courageux Huriel, muletier originaire du Bourbonnais et cornemuseux réputé, est à Nohant le soir de la saint Jean. A l’occasion de la jaunée, fête accompagnant le grand feu allumé célébrant le plus long jour de l’année, Brûlette et Tiennet, héros berrichons du roman, comptent bien danser mais ils n’ont pas de musique. Finalement le fils Carnat, cornemuseux dont le père a grande réputation dans le pays, joue de sa musette, mais, sans grande expérience, il ne fait danser personne ! Huriel lui prend son instrument et se met à jouer « les plus belles bourrées du monde », faisant danser tout le monde sur la place du bourg ! Le père Carnat, présent au cabaret de la Biaude, « entendant si bien mené sa musette, était arrivé, bien étonné et bien fier du savoir de son garçon… ». Il fut bien surpris de constater que ce n’est pas son fils qui joue si bien, et vexé, reprend sa musette. Huriel va alors sonner avec une grande cornemuse bourbonnaise et faire danser le village jusqu’à l’aube… « La mère Biaude, voyant qu’il y avait là de l’ouvrage et du profit, avait fait apporter des bancs, des tables, du boire et du manger, et comme de ce dernier article, elle n’était pas assez fournie pour tant de ventres creusés par la danse, un chacun se mit en devoir de livrer aux amis et parents qu’il avait là tout ce que son logis contenait de victuailles pour la semaine… ».

cabaret de la biaude_nohant_amis de nohant_9.jpg

Illustration par René Franchi pour une édition illustré du roman en 1947.

En 1856, George Sand emploie Anne Biaud, dite Nanette, « fille de Fanchon, qui sait cuisiner, et qui sort de chez Pommeroux… ». La jeune femme avait 22 ans et vraisemblablement une belle expérience en cuisine. Elle dut toutefois renoncer à ce poste chez Sand car elle tomba malade. Quatre ans plus tard, c’est sa sœur Marguerite, alors âgée de 16 ans, qui devint cuisinière, mais la romancière la remplaça par une autre femme assez rapidement, se plaignant du jeune âge de Marguerite et de ses piètres talents en cuisine…

​

Très vite ensuite, Marguerite Biaud quitta son village pour s’installer à Paris où elle se maria avec un dénommé Dru. George Sand garda contact avec elle, en particulier au moment de la guerre franco-prussienne. Marguerite est bloquée à Paris durant le siège. Arrivée au village en février 1871, elle renseigne la famille Sand sur ce qui se passe à Paris.

​

L’année précédente, la famille Biaud avait été particulièrement endeuillée par la mort de Fanchon et celle de Solange, la fille aînée, l’épouse du sabotier. Solange est décédée en septembre 1870 après avoir été bien malade, quelques jours seulement, de la variole. Une épidémie particulièrement virulente s’est propagée dans le village. Sa mère est décédée le 8 novembre, non pas de la variole, mais d’une autre maladie. George Sand précise dans ses écrits que Fanchon était aveugle et malade depuis longtemps. Le registre d’état civil consigne son décès en précisant qu’elle est morte « dans la maison de son mari, située au bourg de Nohant ». Le cabaret de la Biaude a donc perdu sa Biaude, mais garde son nom toutefois. En septembre 1871, George Sand écrit à sa fille qu’un monsieur qui voulait la rencontrer mais qu’elle n’attendait pas et qu’elle ne voulait pas recevoir chez elle, « est descendu chez la Biaude » où on lui aura dit qu’il ne serait pas reçu chez Sand.

​

Le recensement de la population de Nohant-Vic en 1872 distingue seulement deux personnes au foyer de Sylvain Biaud, âgé maintenant de 71 ans : lui-même, « cabaretier » et l’une de ses filles, Louise, âgée de 34 ans, « cabaretière ». Une nouvelle Biaude a donc pris la relève de Fanchon. Louise a 34 ans ; née en 1838, elle est la quatrième fille de Sylvain et Françoise Biaud. Elle ne s’est jamais mariée, n’eut pas d’enfant ; elle est toujours restée au foyer parental. Cette situation pour une femme dans ces années-là est assez rare. Quand elle était enfant, les recensements la distinguent comme « bergère », fonction très habituelle chez les jeunes paysannes ; mais il est bien probable qu’elle ait aussi secondé sa mère au cabaret.

​

Lors du recensement de 1876, Sylvain Biaud est toujours recensé comme « aubergiste » et vit avec Louise. Il meurt en mars 1884, à l’âge de 83 ans, âge canonique pour un homme à l’époque ! Le recensement suivant, réalisé 10 ans plus tard, distingue Louise Biaud comme « aubergiste » ; elle vit seule.  Jusqu’au recensement de 1911, Louise est déclarée comme chef de famille, « aubergiste » ou « cabaretière », et vit seule. En 1911, son foyer compte deux autres personnes : sa sœur Marguerite, devenue veuve et rentrée au pays, ainsi que la fille de cette dernière, prénommée Louise, âgée de 21 ans, née à Paris. Le recensement de cette année-là qualifie Louise Biaud de « cabaretière » et de « patronne ».

​

De ces années-là datent les premières photos du cabaret de la Biaude. Le propriétaire actuel de la bâtisse possède une belle photo datée du 16 avril 1900, où l’on voit Louise devant son établissement. Le nom du cabaret est noté à la main : « Auberge du petit soldat ». Dix ans plus tard, d’autres prises de vues indiquent un nouveau changement de nom : « Si j’allions boire une bonne bouteille » ou bien « Si j’allions boire z’une bouteille ».

​

Ces photos se déclinent alors en carte postale montrant le cabaret de Louise comme un endroit pittoresque au cœur d’une Vallée noire, chantée par George Sand, devenue un territoire attractif touristiquement, et que l’on cherche à promouvoir. L’ancrage de la grande romancière sur cette partie du Berry, les évènements commémoratifs de 1884 et 1904 _ années des 80 ans et des 100 ans de sa naissance_, et le mouvement régionaliste d’avant-guerre, ont donné une certaine visibilité à la campagne sandienne.

​

Dans un petit guide à l’usage des cyclo-touristes publié en 1911, écrit par l’écrivain régionaliste Jacques Des Gachons, on voit l’auberge, devant laquelle des jeunes hommes et femmes, en tenue de ville, à la mode de la Belle-Epoque, prennent la pose, guidon à la main. Trois femmes se distinguent sur le pas de la porte : on reconnaît Louise avec ses vêtements et sa coiffe d’une autre époque. Les touristes sont désormais invités à fréquenter l’endroit, dit « chez la Louise ».

​

Le ton « patoisant » de cette image sonne le glas du traditionnel cabaret de la Biaude tel que George Sand et son fils Maurice ont pu le connaître…

Sur ces images, on distingue une sorte de pancarte à l’entrée du cabaret. Faisait-elle office d’enseigne ? En 1884, au moment des fêtes commémoratives organisées à La Châtre pour les 80 ans de la naissance de George Sand, un journaliste laisse un témoignage étonnant. Il écrit un papier pour Le Figaro, à la date du 11 août 1884, dans lequel il raconte avoir pris une calèche de louage pour venir à Nohant où il voit un « café » « dont l’enseigne a été peinte par Maurice Sand, avec cette légende : Si j’allions boire z’une bouteille ? Mais l’enseigne a été jetée au feu récemment, tant elle était vieille et pourrie… ». L’idée que Maurice ait pu peindre cette enseigne n’est pas improbable, mais elle découle de la tradition orale, elle est donc invérifiable…

​

Louise a vendu son bien en 1919 (3). Née à Nohant, village qu’elle n’avait jamais quitté, elle s’est finalement installée à La Châtre où elle est morte en 1924, à l’âge de 86 ans. Elle n’aura pas eu beaucoup d’années de repos après toute une vie de labeur... 

​

En 1913, Louise Biaud a connu une expérience extraordinaire grâce à la présence du linguiste Ferdinand Brunot dans son village. Venu collecter chants, contes et musiques traditionnels en Berry avant que ce patrimoine oral ne meure, il a enregistré Louise en conversation avec une autre femme du village. On l’entend aussi chanter de sa voix chevrotante de vieille dame de 75 ans. Combien de chansons traditionnelles Louise Biaud, dite la Biaude, née en 1838, connaissait-elle en ayant grandi et vécu toute une vie au sein du cabaret de ses grands-parents ? Dieu seul le sait…

 

Vinciane Esslinger

Guide à la maison de George Sand au bourg de Nohant

 

 

(1) Ils commencent en 1846 et eurent lieu généralement tous les 5 ans ; il n’y a pas de recensement entre 1876 et 1886, entre 1911 et 1921.

(2) Le dessin original a malheureusement disparu ; il est connu grâce à des photos. La tradition orale stipule qu’il représente le cabaret de la Biaude. Merci à Daniel Bernard pour la copie du dessin.

(3) Information donnée par le propriétaire actuel.

Louise Biaud et Mélanie TouzetLouise Biaud
00:00 / 01:41

Le 3 juin 1911 , le grammairien, historien de la langue française Ferdinand Brunot , inaugure à la Sorbonne les Archives de la parole, fondées avec l’aide de l’industriel Émile Pathé. Première collection institutionnelle de phonogrammes (enregistrements sonores) créée en France, ces Archives constituent par ailleurs la première pierre d’un Institut de phonétique que l’université de Paris souhaite mettre en place dans leur prolongement.

Après sa première enquête phonographique dans les Ardennes de 1912, Ferdinand Brunot retourne sur le terrain pour une collecte sonore dans le Berry en juin 1913.

 

Entre le 28 et le 30 juin, Ferdinand Brunot réalise ainsi 56 enregistrements de 44 locuteurs répartis dans trois lieux (sur disques plats Pathé Saphir de 30 cm de diamètre).

​

Ce sera à La Châtre le 28 juin 1913, Nohant-Vic le 29 juin et Saint-Chartier le 30 juin

​

A l’évidence, Ferdinand Brunot traque le pittoresque, le "rustique", un certain "exotisme de l’intérieur", plus que l’intérêt linguistique. En lieu et place d’une enquête dialectologique, il se livre à une véritable reconstitution sonore de l’univers fictionnel de George Sand. Brunot enregistrant notamment la fille de la nourrice de cette dernière : Louise Briaud, alors âgée de 74 ans. Les enregistrements sonores que Ferdinand Brunot ramène sont un témoignage d’un exceptionnel intérêt, notamment sur les pratiques musicales en Berry au début du siècle.

​

Ferdinand Brunot enregistre donc à Nohant-Vic le dimanche 29 juin 1913. Vous trouverez sur nohantvic.fr ces enregistrements. 

bottom of page