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Maurice Sand
1823 - 1889

Par Vinciane Esslinger,

guide-conférencière à la maison de George et Maurice Sand

Maurice Sand, l'enfant du pays

Cet homme aux multiples talents et centres d’intérêt fut un homme discret dont le célèbre pseudonyme n’a peut-être pas tant facilité que cela la notoriété. Grandir et s’épanouir dans l’ombre de sa géante de mère ne fut pas si simple…

Maurice Sand fut un homme rare en son siècle. La très belle exposition que la Ville de La Châtre lui consacra au Château d’Ars en 2017 a mis en avant la pluridisciplinarité du bonhomme : il était un touche-à-tout passionné par une multitude de choses qui ne fit jamais rien à moitié. Il avait cette qualité (qui peut être un défaut…) d’être jusqu’au-boutiste dans l’approfondissement de ses connaissances ou de ses pratiques diverses et variées. Maurice Sand était doté d’une capacité de travail qui semble immense, d’une grande obstination aussi, au point de s’être enfermé parfois dans des savoirs très scientifiques.

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Nohant-Vic fut le village de son enfance et d’une majeure partie de sa vie. Il a vécu dans la maison de sa mère presqu’autant qu’elle ; chez elle, il était chez lui. Il a hérité de cette demeure et d’une partie du domaine foncier en 1876, il y meurt en 1889. C’est dans le petit cimetière privé de George Sand que se trouve sa tombe. C’est au sein de cette commune qu’il a exercé tous ses talents avant de les exercer ailleurs, parfois très loin de son clocher. De ce village dont il fut maire à deux reprises, conseiller municipal pendant 30 ans et pompier jusqu’à la fin du Second Empire, il a était aussi le grand paysagiste, naturaliste et paléontologue, l’ethno-illustrateur également.

Ce texte a pour intention de présenter Maurice au sein de sa commune, dans des dimensions peut-être insoupçonnées de certains des Nohant-Vicois d’aujourd’hui. Ce texte se veut comme un hommage rendu à l’un des villageois de Nohant-Vic le plus étonnant et le plus célèbre, qui mérite bien d’avoir une route du bourg de Nohant portant son nom.  

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portrait de Maurice enfant, exécuté par sa mère (Musée de la vie romantique)

Maurice Dudevant dit Maurice Sand, est né à Paris le 30 juin 1823. Il s’en est fallu de peu qu’il naisse à Nohant, où ses parents étaient établis depuis leur mariage. Son père, le baron François Casimir Dudevant, en épousant Aurore Dupin _future George Sand_ neuf mois avant la naissance de leur fils, était devenu le gestionnaire de la plus importante propriété foncière de la commune. A ce titre, il prit les rênes de la mairie de Nohant-Vic. Maurice fut le fils du maire pendant 12 ans et des plus grands notables du village. Il fut instruit par des précepteurs et par sa mère à Nohant. Il avait 7 ans quand sa maman s’engagea en littérature. Elle fut la plus maternante des mamans. Voir grandir son enfant au sein de l’environnement paysan dans lequel elle-même avait grandi, fut une source immense de bonheur pour la future George Sand. Très tôt, le petit garçon suivit sa mère dans ses promenades en Vallée noire, observant les paysages caractéristiques du Boischaut-Sud et la nature avec attention. Dès son plus jeune âge, comme sa mère avant lui, il se familiarisa avec les habitudes de vie des paysans qui peuplaient cette campagne discrète et silencieuse en travaillant laborieusement la terre. Quand en 1836, son père fut acculé par la loi à quitter Nohant, Maurice est un adolescent scolarisé dans un pensionnat prestigieux : le collège royal Henri IV à Paris. C’était un jeune garçon maladif, moralement fragilisé par la séparation de ses parents et la médiatisation qui l’accompagna. Être le fils d’une femme publiée et libre n’était pas si facile que cela à assumer pour lui à ce moment-là.

A cette époque, cela faisait longtemps déjà qu’il maniait le crayon avec talent. George Sand le fit former à la peinture à l’huile chez son ami le grand Delacroix. Maurice avait 20 ans. Son apprentissage semble avoir été un peu laborieux et il ne fut pas un peintre particulièrement remarqué. Lors d’un séjour de son maître à Nohant, durant l’été 1842, il s’appliqua à copier une composition exécutée sur place par le grand peintre. Intitulée L’Education de la Vierge, elle met en scène deux paysannes de Nohant que l’on connaît bien grâce aux écrits de George Sand : une mère et sa fille, Françoise Meillant veuve Caillaud, et Luce, toutes deux domestiques au « château ». Dans cette belle toile peinte inspirée à Delacroix par la petite église du bourg consacrée à sainte Anne, Françoise, un livre ouvert sur les genoux, incarne sainte Anne, mère de la Vierge, incarnée par Luce, qui se

© Claude-Olivier-Darre/Musée de La Châtre

tient debout à ses côtés. Cette œuvre que George Sand a tant aimée, était destinée à orner les murs de l’église. Ce ne fut jamais le cas : la romancière la garda puis la vendit en 1866. C’est la copie faite par son fils _maladroite comparativement à l’œuvre originale_ qui fut accrochée dans l’église jusqu’aux récents travaux de restauration. Combien de villageois de Nohant-Vic ont eu cette œuvre sous les yeux pendant des décennies, sans se douter qu’un des plus grands maîtres en peinture de l’histoire en avait eu l’initiative ?... Elle est en dépôt au musée de La Châtre depuis quelques années et devrait retrouver sa place d’origine d’ici quelques temps.

Incontestablement, Maurice a beaucoup mieux et plus dessiné au crayon, au fusain ou à l’encre, que peint à l’huile.  Il laisse toutefois quelques peintures remarquables. Elles sont souvent marquées par la veine fantastique qu’il a su en particulier exploiter en composant des tableaux montrant ce que George Sand nommait « les visions de la nuit », à savoir les hallucinations auxquelles les habitants de sa campagne pouvaient être confrontées. L’imaginaire du paysan était fécond, les légendes et les peurs innombrables…

En 1857, une peinture de Maurice intitulée Le Loup-garou, est acceptée au Salon de l’Académie des Beaux-Arts. Elle est exposée dans son atelier à Nohant.

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Une autre, de grand format, une des plus impressionnantes qu’il ait réalisée, est acceptée au Salon la même année. Intitulée Le Grand Bissexte, elle montre ce grand personnage malfaisant que les paysans pensaient voir aux abords des points d’eau les années bissextiles. L’Empire l’acheta. C’est la seule œuvre de Maurice Sand acquise par la France. Elle a été offerte au musée municipal de Bourges, aujourd’hui Musée du Berry où l’on peut l’admirer. Frisson garanti… Dans son agenda de l’année 1856, George Sand nous apprend que c’est « le père Soulat », un vieux paysan de Nohant, que son fils a fait poser pour son tableau. Les deux hommes se connaissaient bien depuis longtemps. « Le père Soulat », Jacques de son prénom, avait porté les armes sous le Premier Empire. En 1830, George Sand et le précepteur de son fils avaient appris à lire et à écrire à cet homme, en même temps que le petit Maurice, âgé de 7 ans, finalisait lui-même son apprentissage de la lecture et de l’écriture. 

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© Maison de George Sand

Dans les dernières années de sa formation en peinture, Maurice eut la joyeuse idée de développer dans la maison de Nohant, une pratique du théâtre avec des marionnettes. Née impulsivement derrière une chaise dans le salon, un soir d’hiver en 1847, cette pratique dura 30 ans. Elle trouva sa place au sein d’une pièce de la maison, tout en s’exportant à Paris. Le théâtre des marionnettes de Maurice Sand a connu un développement incroyable, donna lieu à des dizaines de représentations, motiva son créateur à être toujours plus ingénieux et créatif. Elle a pour conséquence aujourd’hui d’enrichir la maison de George Sand d’un patrimoine hors du commun. Parmi les sources d’inspiration de Maurice pour écrire des scenarii, fabriquer des marionnettes et des décors, on peut compter assurément son environnement proche formé par le village et sa population. Si les marionnettes de Nohant n’incarnent pas forcément des individus ciblés mais plutôt des profils types déterminés par les différentes catégories sociales du XIX° siècle, on peut toutefois supposer que certains habitants de Nohant-Vic purent servir, à leur insu, de modèles à leur créateur. Un des types sociaux le plus représenté parmi ces marionnettes est le type « villageois », aisément reconnaissable à ses vêtements. Hommes ou femmes, paysan, aubergiste, garde-champêtre, maire, curé ou enfant de chœur se reconnaissent à leur coiffe, chapeau, biaude, capiche, châle, tablier et autres attributs caractérisant le vestiaire du petit peuple des campagnes.

Au moment où Maurice terminait sa formation de peintre, Louis-Philippe, dernier roi de France, vivait ses ultimes mois de règne. Maurice assista à Paris à la Révolution de 1848 qui fit jaillir la IIème République et les espoirs d’une société plus égalitaire dans l’esprit de sa mère. Cette dernière fit nommer son fils maire de Nohant-Vic. C’est lui qui proclama la République sur le registre du conseil municipal, au grand dam des anciens membres du conseil, inscrivant les mots suivants : « Vive la liberté, vive la République, vive la France ». Tout un programme que ce tout jeune maire de 25 ans eut bien du mal à appliquer. Son inexpérience, le conservatisme de son conseil municipal, les grandes réticences et craintes des habitants du village à accepter les orientations du nouveau gouvernement, le clivage entre le bourg de Nohant et celui de Vic, malgré leur réunion administrative en 1822, causèrent au nouveau maire bien des difficultés durant cette période historique transitoire.

Il quitta le siège de maire rapidement, mais resta conseiller municipal pendant 30 ans. En quelques mois d’exercice, Maurice Sand eut le temps de faire planter un arbre de la liberté, d’organiser une procession républicaine entre les deux églises des deux bourgs au son des cornemuses, de créer un corps de 24 pompiers bien équipés pour sa commune.

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Il appartint lui-même très longtemps à ce corps dont il eut le commandement. Son père, ses deux grands-pères, et son illustre arrière arrière grand-père maternel (Maurice de Saxe) dont il portait le prénom, avaient servi les armées de la France depuis des siècles. Maurice Sand aimait le monde militaire ; il aimait dessiner les soldats et leurs costumes. D’être pompier de son village, de porter le sabre et l’uniforme, d’édicter des consignes et règlements (certains d’entre eux sont conservés au musée de La Châtre ou à Nohant) et d’entraîner sa petite troupe de soldats du feu, lui ont vraisemblablement causé une grande fierté. Le 14 janvier 1866, l’agenda de George Sand relate un fait qui permit à son fils de s’illustrer. Cette nuit-là, le tocsin a sonné : le feu a pris au moulin de Moulin-Neuf. Maurice_dont la fille aînée était née 4 jours avant_ y coure avec la pompe et quelques pompiers. Ils arrivent à sauver la maison attenante au moulin. Maurice prend le tuyau et des tuiles sur la tête ; sans son casque il aurait pu être gravement blessé. Rentré ensanglanté à 4 heures du matin, il s’en sort avec des balafres au visage.

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Les pompiers de Nohant-Vic semblent avoir eu un rôle majeur dans la vie civique du village. George Sand nous renseigne sur le fait par exemple, qu’à chaque élection, Maurice et ses gâs se rendaient à la mairie à Vic afin de surveiller le bon déroulement des opérations. Les pompiers semblent avoir eu également un rôle  important dans la sociabilité villageoise : sa mère nous dit aussi que Maurice les emmenait à l’auberge ! Son fils était encore pompier en 1870, au moment où l’Empire français entrait en guerre contre la Prusse. 

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En 1849, quelques mois après l’échec des espoirs politiques de George Sand, tous les occupants de sa maison furent en émoi suite aux découvertes du nouveau curé de Vic sur les murs de son église, qui était alors dans un état de délabrement avancé. Maurice et son ami, le peintre Eugène Lambert, aidèrent le curé à faire tomber les couches de badigeon qui recouvraient les plus belles fresques médiévales du département. Les deux jeunes hommes réalisèrent des relevés des magnifiques personnages qu’ils avaient sous les yeux. Armée de ces dessins, George Sand alla plaider la cause de « son » église auprès des architectes qui, au sein du Ministère de l’Instruction, étaient chargés des Monuments Historiques. Elle obtint gain de cause tout de suite : l’église de Vic fut classée (et sauvée !) en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire !

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En 1858, ce sont les beaux fusains de son fils, conservés à Nohant, imageant la grand bête vue à Launière ou les sinistres lavandières de la Font de Fond, qui décidèrent George Sand à écrire Les Légendes rustiques. Cette iconographie constitue un témoignage inestimable pour nos générations. L’ensemble de ces illustrations ethnographiques forme peut-être le plus beau des héritages que Maurice Sand nous a laissé.

Au-delà de ces dessins publiés, Maurice en a réalisé des dizaines d’autres, conservés  à Nohant, au musée de La Châtre et à la bibliothèque historique de la Ville de Paris, qui démontrent avec force qu’il a été tout au long de sa vie l’illustrateur de son village. Exécutés à l’encre, au crayon, ou à l’aquarelle, ces dessins croqués parfois en quelques minutes sur les sites où Maurice se trouvait, démontrent son talent et l’observation attentive qu’il fit de l’environnement au sein duquel il avait grandi et passé une grande partie de sa vie. Il a dessiné Vic et Nohant, les chaumières isolées du village, ses fermes ou ses moulins.

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A la même époque, tous les occupants de la demeure de George Sand se passionnent pour les études naturalistes. Maurice a cultivé ce goût dès l’enfance et se spécialisa en géologie, paléontologie et entomologie. Dans son atelier à Nohant, sont conservés dans des tiroirs adaptés, des milliers de pierres qu’il a trouvées lui-même en divers endroits de l’Indre, particulièrement sur la commune de Nohant-Vic et alentours, ou issus de bien d’autres régions de France. Ses connaissances en géologie étaient immenses. Il connaissait bien la stratigraphie de la France et du département de l’Indre en particulier. Avant tout autre endroit, c’est le sol de sa commune qu’il a prospecté. Il a beaucoup prélevé de pierres calcaires des carrières des Chottes, sur la route de Châteauroux à La Châtre.

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© Maison de George Sand

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De cette prospection géologique à Nohant-Vic  a découlé des trouvailles paléontologiques. Dans les tiroirs de l’atelier de Maurice on trouve des milliers de fossiles de toutes sortes de mollusques, dont beaucoup ont été extraits des sols de la commune. Ammonites ou bélemnites peuplaient l’océan qui recouvrait la campagne de la Vallée noire il y a 200 millions d’années : Maurice les a dénichés sur de nombreuses localités de Nohant, Vic ou Montgivray. Si la toponymie actuelle en a perdu la trace, les pattes de mouche de Maurice sur les petites étiquettes collées sur ses trouvailles en témoignent.  Les Chottes bien sûr, la Brunerie, la Croix blanche, mais aussi le côteau de Vic, les Montmagnes, la croix des Bossons, le Poirier du chien ou les Girandelles étaient peuplées à l’époque du Lias _ou Jurassique_ d’animaux étranges… Maurice Sand était si savant en la matière qu’il apporta une aide précieuse à un éminent géologue et paléontologue, membre de la société géologique de France à laquelle Maurice appartenait lui-même depuis 1863 (son bulletin d’admission à cette société savante est conservé au musée de La Châtre). Mr Orly Terquem, fit publier en 1866 son Mémoire sur les foraminifères du Lias, dans l’Indre et ailleurs, avec un gros focus sur la stratigraphie de Nohant-Vic. Les connaissances que Maurice avait sur la nature du sol de son village lui furent d’une aide précieuse.

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© Maison de George Sand​​

En même temps qu’il avait le nez et la pioche au ras du sol, Maurice Sand avait aussi les yeux et le filet dans les airs. Féru d’entomologie, il se spécialisa dans l’étude des lépidoptères à partir des années 1850. A Nohant, dans la grande demeure de sa mère, secondé par cette dernière et son compagnon Alexandre Manceau, Maurice se lança à corps perdu dans la constitution d’une collection de papillons qui devait devenir exceptionnellement riche au fil du temps. Dans un premier temps, comme il l’écrit lui-même dans la préface du Catalogue raisonné des lépidoptères du Berry et de l’Auvergne, qu’il fit publier en 1879, c’est dans le jardin de sa maison qu’il commença ses recherches fructueuses. Puis, il franchit rapidement la haie qui séparait ce premier biotope de tous les autres autour de lui et élargit son champ de recherches à l’ensemble du territoire de sa commune, puis de l’arrondissement, du département, de la région et de l’Auvergne voisine. A consulter ce catalogue raisonné qui est un ouvrage scientifique, on constate l’étendue des recherches faites par Maurice et sa pugnacité à repérer telle ou telle espèce de papillon qu’il associe systématiquement à sa plante ou à son arbre-hôte. Maurice a ainsi répertorié quelques 3000 espèces de lépidoptères dont beaucoup d’entre elles ont été vues, en premier lieu, à Nohant-Vic, en fonction de la présence des espèces végétales susceptibles d’accueillir et de nourrir leurs chenilles. Maurice a donc passé au peigne fin une grande partie du territoire communal à la recherche de ces petites bêtes. Après les avoir trouvées dans son village, il a pu repérer les mêmes variétés dans les Monts du Cantal ou le Val de Creuse ! Les papillons n’ont que faire des frontières administratives.​​

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Afin de donner à son fils un espace de travail adapté à sa pluridisciplinarité artistique ou naturaliste, George Sand fit aménager, au deuxième étage de sa demeure, un immense atelier. Les travaux d’aménagement ont démarré durant l’été 1852 et se sont échelonnés sur de longs mois durant lesquels Maurice fut essentiellement absent de Nohant. Retenu à Paris pour ses travaux d’illustrateur, il a été régulièrement renseigné par sa mère sur l’avancement d’un chantier titanesque dont elle n’avait pas forcément mesuré l’ampleur au départ ! Elle lui écrit qu’au sein de cet atelier qu’elle compare à un « belvédère d’où [il] aura une vue magnifique et une immensité de ciel éblouissante », il sera logé comme un « châtelain de Léon ». Inquiète à l’idée que son fils s’établisse à Paris plutôt qu’à Nohant, George Sand lui écrit aussi, au bout de six mois de travaux, qu’elle ne vit « qu’à moitié » quand il est loin d’elle…

Ce sentiment et son expression sont des permanences dans la vie de la romancière. Il est bien probable que la grandeur de cet atelier ait été proportionnelle à l’espoir qu’elle avait de retenir Maurice auprès d’elle. Cet espace immense dont les visiteurs devinent souvent la présence grâce aux deux grandes fenêtres de toit qui se distinguent nettement sur les deux façades de la demeure, réunit des éléments patrimoniaux en grande quantité. Ils sont relatifs aux multiples activités et sujets d’études de Maurice Sand : pratique théâtrale, dessin et peinture, sciences naturelles et paléontologie. Ce n’est pas une pièce ouverte au public ordinairement ; elle l’est seulement de manière ponctuelle dans le cadre de visites spécifiques. L’atelier de Maurice sera ouvert à la visite dans le cadre des commémorations des 200 ans de sa naissance.

En 1862, le fils de George Sand épousa la fille d’un de ses plus fidèles amis : Marcelina Calamatta _dite Lina_, fille unique du grand dessinateur-graveur Luigi Calamatta. Maurice avait 39 ans, la jeune femme avait 20 ans. Italienne par son père, Lina espérait comme lui et sa belle-mère l’unification territoriale et politique de l’Italie ; elle était farouchement anticléricale et opposée à l’Empire. Ils se marièrent civiquement dans un premier temps, puis sous le culte protestant en même temps qu’ils firent baptiser, par un pasteur de la Drôme, leur premier enfant. Le petit Marc-Antoine mourut malheureusement à l’âge d’un an. Le couple s’installa à Nohant jusqu’à la mort de George Sand. En mariant son fils, elle lui donnait en dot le domaine foncier de Launière, c’est-à-dire le plus vaste de ses domaines (90 hectares). Cela fit de Maurice Sand l’un des plus importants propriétaires fonciers de Nohant-Vic.

Il fut père à deux autres reprises, de deux fillettes : Aurore est née en 1866, puis Gabrielle, née en 1868. Quelques semaines seulement après la naissance de la fille cadette de Maurice et Lina, Marie Caillaud, célibataire, fille de paysans, née à Nohant en 1840, domestique de George Sand depuis les années 1850, donnait naissance à une fille, prénommée Marie-Lucie, née de père inconnu. Etre fille-mère dans la campagne de Nohant-Vic au XIX° siècle est le pire qui puisse arriver à n’importe quelle jeune femme. On attribue à Maurice des amours ancillaires avec Marie sans en avoir la moindre preuve ; les écrits de George Sand sont totalement muets quant à cette relation supposée. On attribue à Maurice la paternité de sa fillette sans pouvoir le vérifier. Si les sources écrites laissées par la romancière permettent d’affirmer que Marie des poules a connu un destin exceptionnel pour une fille de sa condition sociale grâce à la place qu’elle acquit dans la demeure et la vie de sa patronne, elles ne donnent toutefois aucune raison de penser que son fils fut responsable des malheurs de Marie qui est morte avec son terrible secret…

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Dans les dix dernières années de la vie de sa mère, Maurice décida de prendre en main la gestion des biens fonciers qui leur appartenaient. Il rencontra souvent les fermiers des domaines de Launière, de La Chicoterie et de La Porte dans le cadre des baux établis avec eux. Il se documenta sur l’élevage des bovins et fréquenta les foires de La Châtre et de La Berthenoux afin d’acheter ou vendre des vaches, taureaux ou bœufs. Il présenta même ses bêtes au concours agricole de La Châtre. En 1872, une épidémie a endommagé les cheptels berrichons. George Sand note dans son agenda à la date du 10 octobre que toutes leurs bêtes sont malades ; elle écrit que « ça embête bien Maurice. L’agriculture n’est qu’imprévu et déception. C’est une compagne revêche ou une ingrate maîtresse… ». Elle raconte que son fils va à la loue du 24 juin recruter du personnel pour les travaux saisonniers ou garder les bêtes. Il dirigeait les récoltes des fourrages et des céréales durant l’été, sur les parcelles constituant la réserve de sa mère, exploitées en faire-valoir direct.

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                         Launière                                         La Chicoterie                                                 La Porte

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​En août 1869, Maurice s’inquiète de trouver une batteuse à La Châtre. En août 1870, alors que le blé a tant manqué cet été de canicule, une batteuse « travaille » selon les mots de George Sand, même si « la moisson n’est pas épaisse », dans sa cour de ferme, avec une vingtaine d’ouvriers. L’écrivaine possédait au sein de sa réserve un champ grand d’un hectare, le champ Vilmont _il s’agit de la grande parcelle formant la patte d’oie entre la route des Ormeaux et la petite route qui mène sur la place de l’église_, qui devait sûrement être consacré à la culture des céréales. Il est assez probable que Maurice Sand fut un des premiers « agriculteur » de Nohant-Vic a usé d’une batteuse mécanique pour battre le blé !

En 1874, suite au décès de Mr Bourdillon, maire de la commune depuis 20 ans, Maurice Sand fut nommé maire par le préfet. Il était conseiller municipal depuis 1848. Sa mère écrit que malgré toutes ses occupations il ne peut vraisemblablement pas refuser cette nomination car « les habitants ne veulent pas lui permettre de dire non… ». Il fut reconduit dans cette fonction aux élections municipales de 1878, 2 ans après le décès de sa mère, mais la famille Sand ayant déserté Nohant, Maurice céda sa place un an plus tard à son adjoint.

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C’est à l’extrême fin de sa vie, alors que ses filles étaient devenues des jeunes femmes d’une vingtaine d’années prêtes à trouver des époux et que Marcelina préférait vivre dans leur hôtel particulier de Passy, en bordure de Paris, que Maurice revint s’installer dans son village. Dans une lettre touchante à son épouse qu’il écrit le 3 mars 1888 à Nohant, il exprime l’idée de ne plus souhaiter vivre à Paris, de refaire son « nid » « ici », c’est-à-dire « où j’ai vécu, où je dois mourir, pas loin de ma mère ». Au moment où Maurice écrivait ces mots, le mouvement régionaliste donnait sur la scène nationale une visibilité particulière au Berry, à sa culture populaire et ses traditions.

La « Société des Gâs du Berry et autres lieux du Centre » naissait à Paris, puis sa sœur jumelle naissait à Châteauroux six mois plus tard, sous les présidences de Jean Baffier et Edmond Augras. Rapidement, Maurice Sand fut nommé président d’honneur de la société locale. Il le fut quelques mois seulement puisqu’il mourut en septembre 1889.

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Maurice Sand n’était pas musicien : c’est une des rares cordes qui manque à son arc. Pour autant, la musique jouée par les cornemuseux ou vielleux de sa campagne a constamment rythmé son existence, à d’innombrables occasions. Il a dessiné à bien des reprises les musiciens du Berry avec leurs beaux instruments. Il a montré à ces contemporains les danseurs et danseuses de bourrée, tels que George Sand les a fait danser dans certains de ses articles ou romans. Les Gâs du Berry ont la grande chance de posséder une magnifique aquarelle de Maurice montrant l’assemblée de Nohant qui avait lieu sous les fenêtres de George Sand, chaque dernier dimanche de juillet à l’occasion de la Sainte Anne. C’est Aurore Sand qui fit ce beau cadeau à la plus vieille « société folklorique » de France.

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Cet homme inclassable repose ainsi dans le village de sa mère, qui était aussi le sien. A Nohant, la maison de George Sand attire de nombreux visiteurs qui découvrent que ce monument emblématique fut également le cadre de vie et de travail de son fils. Maurice Sand était un touche-à-tout aux mille talents, un artiste et un naturaliste aux savoirs encyclopédiques dont l’immense atelier, sous les toits, raconte l’insatiable curiosité. Sa mémoire se trouve donc associée à Nohant-Vic pour l’éternité. C’est une chance pour la commune, car comme l’écrit L’Echo de l’Indre du 6 septembre 1889 selon une belle formule, « Un pays n’a jamais trop d’enfants qui lui font honneur »…

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Sous l’Empire, Maurice Sand fut un illustrateur prolixe, préférant le crayon au pinceau. De 1851 à 1855, il illustra en particulier deux séries d’articles signés par sa mère pour la belle revue illustrée L’Illustration. La première série concerne les habitudes de vie des paysans du Berry, l’autre leur légendaire. Les dessins accompagnant ces textes sont très beaux et ont une valeur ethnologique immense : qui d’autre que Maurice Sand pouvait donner à voir à ses contemporains les habitants de la campagne de Nohant-Vic et alentours, leurs croyances, leurs rites, leurs peurs, leurs vêtements ou instruments de musique ? Personne.

Ces petits dessins nous montrent, dans le détail parfois, l’habitat et le matériel du paysan ou de l’artisan qui habitait la commune. Les hommes et leurs bœufs, les femmes et leur quenouille sont aussi représentés dans leur quotidien.  Les paysages de Nohant-Vic sont nombreux dans l’œuvre dessinée de Maurice. Il ne fait aucun doute qu’il les a aimés, dans cette simplicité qui les caractérise encore. Ses dessins nous montrent les pacages, les taillis, les champs labourés, les barriaux. Ils représentent souvent les chemins empierrés et pentus du côteau de l’Indre qui menaient autrefois aux Montmagnes, à Sarzay, à Montgivray, mais aussi la grande route de La Châtre et ses carrières de calcaire pour l’usage des fours à chaux. Maurice a dessiné les carrefours maudits de son village marqués par leur croix se détachant sur des horizons plats et tristes. Ses ciels sont souvent très beaux, parcourus de nuages qu’on voit presque courir. Ses dessins privilégient les arbres, ceux dont les racines plongent dans la rivière, ceux des bouchures, des lisières et des forêts, les noyers isolés, les ormes de la place de Nohant ou d’ailleurs, les innombrables et effrayants arbres mutilés en têteaux si caractéristiques des paysages autrefois. Maurice Sand était l’habitant de Nohant-Vic qui avait le plus voyagé. Il a fait suivre avec lui ses carnets de croquis dans bien des régions de France, dans le Sud-Ouest en particulier où son père vivait. Il a vu l’Espagne et l’Italie, le Maghreb, le Canada et l’Amérique du Nord. Il a été confronté à des paysages grandioses, il a vu des torrents, des mers et des montagnes. Il a bien sûr dessiné toutes ces contrées, mais à voir ses innombrables dessins de Nohant-Vic, je ne peux m’empêcher de penser que plus que n’importe quel horizon, c’est celui de son village qu’il a le mieux représenté, sans jamais se lasser de reproduire les mêmes éléments. Il l’a dessiné comme sa mère l’a écrit. George Sand a chanté, avec une grande poésie, la beauté simple des paysages et des hommes de sa campagne ; son fils nous les montre de la même façon. 

Dessins conservés à la bibliothèque

historique de la Ville de Paris

La fille de Maurice fut, comme son père, présidente d’honneur de cette association qui contribue largement au renom de Nohant-Vic en faisant vivre la culture populaire berrichonne. Les Gâs du Berry rendront un hommage particulier à Maurice Sand en cette année 2023, pour son anniversaire, en mettant en scène cette œuvre qui nous donne à voir ce que personne d’autre que lui à son époque n’a illustré. Son tableau sera vivant : quelle chance nous aurons de voir cela !

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Cet homme à la polyvalence rare qui ne cherchait pas particulièrement la gloire, est mort à Nohant, le 4 septembre 1889, dans la maison de sa mère, qui était devenue la sienne depuis 13 ans. Il avait 66 ans. George Sand a très souvent exprimé à ses proches qu’elle ne savait pas « vivre sans lui » ; la mort les a peut-être réunis.

Maurice fut enterré le lendemain même de son décès, au sein de ce petit cimetière privé aménagé dans le grand jardin de Nohant en 1855. Le tombeau de Maurice Sand, baron Dudevant, a ainsi rejoint celui de son petit Marc-Antoine, celui de son grand-père Maurice Dupin, lieutenant-colonel des armées de Napoléon Ier, et bien sûr la lourde pierre tombale en lave de Volvic que lui-même avait voulu pour recouvrir la sépulture de sa mère. L’Echo de l’Indre, ancêtre de L’Echo du Berry, fit paraître deux jours plus tard un article nécrologique qui est un des rares documents nous renseignant sur ses obsèques. L’article évoque la « foule assez considérable », sans donner de noms, présente à cet enterrement, tout en soulignant que si la famille avait prolongé la « veillée du mort », plus de personnes auraient accompagné Maurice dans son dernier voyage. Les pompiers de La Châtre et de Saint-Chartier ont rendu les honneurs militaires à leur confrère. Maurice avait été fait Chevalier de la légion d’honneur en 1860 pour son magnifique ouvrage illustré sur la Commedia dell’arte ; il avait également reçu une médaille militaire pour sa bravoure lors de l’incendie à Moulin-Neuf. C’est le pasteur protestant de l’Indre qui officia la cérémonie religieuse ; il prononça, selon la gazette locale, « un très beau discours » devant le cercueil du défunt. Au cimetière, c’est Ernest Périgois, ami de toujours de George Sand, grand familier de Nohant, qui prit la parole pour souligner que la mort de Maurice « laissera un grand vide dans notre vieux Berry ». L’article rapporte les propos suivants : « Mr Maurice Sand est unanimement regretté par la foule qui environne sa magnifique propriété de Nohant, désormais historique ; très simple, très affable, sa nature franche et sympathique plaisait à nos paysans ».

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