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LES DOMAINES FONCIERS DE GEORGE SAND SUR LA COMMUNE DE NOHANT- VIC

Ce texte doit beaucoup à l’article de Pierre Remérand : George Sand propriétaire terrienne, dans George Sand, terroir et histoire, Presses universitaires de Rennes, 2006.

Par Vinciane Esslinger
guide-conférencière à la maison de George Sand

En 1821, George Sand, unique héritière de sa grand-mère paternelle, hérite de l’ensemble de la propriété de cette dernière, à savoir le plus grand domaine terrien de Nohant-Vic, de très loin avant les quelques autres grandes propriétés foncières que comptait la commune. Cet  ensemble formait alors un patrimoine conséquent, héritage de la société féodale.

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Au lendemain de la Révolution française et tout au long du 19ème siècle, les terres de Nohant-Vic étaient partagées entre quelques grands propriétaires, détenant de grandes surfaces, et une multitude de villageois, petits propriétaires de leur maison et de quelques parcelles de terres, de prairies, de chènevières, de vignes ou de vergers, généralement regroupées autour de la maison.

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En plus de la maison de maître située sur la place du bourg de Nohant, maison d’habitation des propriétaires, et de tous les bâtiments annexes liés à l’exploitation des terres, George Sand fut donc tout au long de sa vie propriétaire de 230 hectares de terres. Elles étaient  constituées essentiellement de pacages, de prairies, de terres labourables, de taillis ; la nature de ces parcelles correspond bien à la polyculture (élevage, céréales) développée au sein de l’espace naturel du Boischaut-Sud. Ces terres se répartissaient en quatre ensembles fonciers avec leurs bâtiments d’exploitation : trois grands domaines exploités en faire-valoir indirect (La Chicoterie, La Porte, Launières), ainsi qu’une réserve de 5 hectares exploitée en faire-valoir direct en blés, fourrages et vignes, pour les besoins personnels de la romancière qui vivait en autarcie alimentaire.

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Dessin de la demeure de George Sand et de son  environnement  par son fils Maurice, publié dans Le Monde illustré en 1857

Les parcelles composant les trois domaines se situaient essentiellement sur le bourg de Nohant et au-delà en direction de Lourouer-Saint-Laurent, de l’autre côté de la route de Châteauroux sur la partie de la commune qui descend à la rivière jusqu’à Moulin-Neuf, à la sortie du bourg de Nohant en direction de Vic, au lieu-dit Launières  en direction de Saint-Chartier. Ces parcelles ne formaient pas forcément de grands ensembles de terres juxtaposées les unes aux autres, mais plutôt des lots de terres écartelés et mêlés aux parcelles d’autres grands ou petits propriétaires. Cette configuration de la propriété foncière au pays de La Châtre a fait écrire à George Sand que le paysan était son voisin immédiat. Les parcelles composant la réserve, terre labourable pour la culture du blé, pré et luzernières pour le fourrage nécessaire aux bêtes,  noyeraie, se situaient au bourg de Nohant, à proximité de la demeure, ainsi que sur le coteau de Vic pour les parcelles de vignes.

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Plan cadastral montrant en gris les parcelles appartenant à George Sand sur la commune de Nohant-Vic, dépendantes des 3 fermes de La Porte, La Chicoterie et Launières.

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Le domaine de Côte-Noire (en jaune),  grand de 37 hectares, situé sur la commune de Montgivray, avait été acheté en 1827 par la romancière et son époux. Après sa séparation de corps et de biens, George Sand vendit l’essentiel des parcelles le constituant  et intègra les parcelles restantes aux fermes de Nohant.

La grand-mère de George Sand achète l’ensemble de ces biens en 1793, cherchant à fuir la Terreur à Paris. Plusieurs documents d’archives renseignent sur le parcellaire, les bâtiments d’habitation ou d’exploitation des familles exploitantes, et le cheptel. Il s’agit des actes d’acquisition du domaine signés en 1767, 1793, et d’un document écrit par le propriétaire de ces biens, suzerain déchu du fief de Nohant, auquel la grand-mère de Sand acheta la propriété (1).

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En 1767, Philippe Péarron de Sérennes, gouverneur pour Louis XVI de la ville de Vierzon, achète à Claude Guillaume Testu, marquis de Balincourt, gouverneur de la ville de Strasbourg, « la terre fief et seigneurie de Nohant », incluant le « château seigneurial » et tous les bâtiments annexes liés à la gestion foncière. De ce fameux château, vraisemblablement devenu inhabitable au fil des siècles, le nouveau suzerain fit table rase et fit édifier à son emplacement la demeure dont George Sand hérita 50 ans plus tard, telle qu’elle se présente encore aujourd’hui à nos yeux.

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Acte d’acquisition de la terre de Nohant par Marie-Aurore de Saxe.

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Les terres associées au fief en 1767 étaient celles des domaines de Launières et de La Porte ; Péarron de Sérennes acheta très vite ensuite, en 1775, la locature de La Chicoterie. Soucieux de remettre un peu d’ordre dans la gestion de ses domaines, il s’appliqua à tenir un cahier sur les pages duquel il fait une sorte d’état des lieux en fonction des années et des évolutions que son domaine a connu. Il a continué à acquérir quelques parcelles supplémentaires, certaines ont connu des mutations d’un domaine à l’autre, il a bénéficié de la vente de quelques biens nationaux au moment de la Révolution (il s’agit de biens ecclésiastiques), plusieurs de ses terres ont été morcelées par la création en 1772 de la grande route reliant Châteauroux à La Châtre. Domaine par domaine, il détaille les différentes parcelles en donnant leur nature, leur capacité de production avec  les unités de mesure de l’Ancien Régime (boisselées pour les terres, charrois ou chartées pour les prairies, hommées pour la vigne), il les situe les unes par rapport aux autres en se repérant avec les chemins vicinaux, les quatre points cardinaux (soleil levant, midy, couchant, septentrion) ou bien les parcelles de ses voisins. Concernant la réserve exploitée en faire-valoir direct, on constate que la plupart des parcelles sont les mêmes à l’époque de George Sand.

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A la date de 1786, ce document nous apprend que les bâtiments de La Porte consistaient en « une maison de demeure, un engard, le tout bâti à neuf depuis trois ans, une grange bâtie à neuf, un autre bâtiment où il y a écurie, bergerie, porcherie construite depuis huit ans ». Ces bâtiments, lieu d’habitation du fermier et de sa famille exploitant les terres, étaient associés à quelques petites parcelles (chènevière, jardin, pacage) nécessaires à leur besoin.

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Bâtiments du domaine de La Porte tels           que le montre le cadastre napoléonien           de Nohant-Vic (1841)

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Bâtiments du domaine de La Porte dans les années 1970, photos P Bertrand

Les bâtiments du domaine de Launières consistaient « en une maison de demeure, deux chambres basses, un sellier au bout, double grenier au-dessus, deux granges ; un autre bâtiment où il y a sous le même toit bergerie, écurie, porcherie ». D’autres informations sont données par Pearron de Sérennes : « La cour au milieu de ces bâtiments et un petit poulailler, une chenevière derrière la maison de demeure ; une autre chenevière acosté du sellier, un petit jardin entre le poulailler et la grange au bled et une autre chenevière entre la porcherie et la grange au foin… ».

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Les bâtiments du domaine de Launières vus du ciel, années 1980, famille Pasquet

Quand la grand-mère de George Sand achète son domaine foncier à l’ancien suzerain du fief de Nohant, l’acte d’acquisition signé à Paris, daté du 23 août 1793, précise qu’elle acquiert « la terre de Nohant », à savoir les deux domaines de Launières et La Porte, la réserve, la locature de La Chicoterie, ainsi qu’une « maison de maître presqu’entièrement reconstruite à neuf entre cour et jardin ». Elle acquit quelques autres parcelles pour finir de constituer ce qui sera l’héritage de George Sand 28 ans plus tard. L’acte d’acquisition fait également le point sur le cheptel associé à chacun des trois domaines. Launières était particulièrement riche puisqu’il comptait : «huit boeufs de trait, sept mères vache, quatre veaux de lait, trois veaux d’un an, une jument, trois mères truÿes, 12 cochons de lait ».  La Porte était également très bien doté en bêtes avec « huit bœufs de trait, cinq mères vaches, quatre veaux de lait, trois veux d’un an, une jument, trois mères truÿes, douze cochons de lait ». La Chicoterie était alors le moins bien doté avec « quatre mères vaches, quatre veaux, deux taureaux de 2 ans ». La cour de ferme de la demeure était également riche de « six bœufs de trait, cinq mères vaches, deux veaux de lait, deux taureaux » ; ce cheptel devait être constitutif de la réserve.

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Photos de Gabrielle Sand, fille cadette de Maurice Sand, prises dans les années 1900, montrant un attelage de bœufs et la cour de ferme de la maison de sa grand-mère. © CMN/Jean-Luc Paillé

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Chacun des trois grands domaines fut exploité selon des contrats évolutifs : de contrats de métayage, ils évoluèrent en contrats de fermage. Ces contrats furent souvent signés et renouvelés avec les mêmes familles durant de longues années ; les baux, longs de 7 ou 9 ans, sont contractés le 11 novembre, à la saint Martin, comme le voulait l’usage.

 

Le domaine de Launières, le plus grand de tous avec ses 90 hectares, est affermé à la famille Pinault-Martinet du début du 19ème siècle jusqu’en 1839. Il le fut ensuite à la famille Teinturier- Potet jusqu’en 1859. A cette date, c’est la famille Couillard qui exploita ce domaine jusqu’à la mort de George Sand. En 1862, la romancière dota son fils au moment de son mariage de ce domaine. Maurice en fut donc le propriétaire jusqu’à ce qu’il fasse le choix de le vendre, en 1878, à son voisin des Ferrons, Henri Audoux de Villejovet. Cette famille comptait elle aussi parmi les quelques grands propriétaires terriens de la commune de Nohant-Vic.

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Annonce des 2 domaines de George Sand à affermer en 1859, publiée dans L’Echo de l’Indre en juin 1859.

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Les bâtiments de Launières sur le plan cadastral (1841)

Le domaine de La Porte, grand d’environ 70 hectares, est affermé dans les années 1830 à la famille Croux. Dans les années 1840, c’est le père et les fils Meillant, déjà fermiers de La Chicoterie, qui exploitent La Porte jusqu’en 1851. A cette date, le domaine passe entre les mains d’un régisseur nommé Alexis Camus, employé des postes à Châteauroux. Sa gestion du domaine contenta beaucoup George Sand dans les premières années, mais il rencontra des difficultés et la romancière afferma son bien à nouveau. En 1861, elle signe un bail avec Germain Couillard et son fils Jacques pour affermer La Porte. A la mort de George Sand, sa fille Solange hérite du domaine. Elle le vend en 1877.

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Le domaine de La Chicoterie, grand d’environ 60 hectares, fut pendant plus de trente ans affermé à Jean Meillant et à ses deux fils, Sylvain et Denis. A leur suite, en 1859, le fermier est Germain Couillard pour un bail de 9 ans ; cet homme fut donc l’unique fermier de George Sand à exploiter l’ensemble de son domaine foncier durant quelques années. A la fin de ce bail, c’est Maurice, le fils de Sand, qui prit en main l’exploitation de La Chicotterie.

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Dessin de La Chicoterie par Eugène Lambert, prise pour modèle pour illustrer un article publié dans Le Magasin pittoresque en 1859.

Il s’intéressait alors beaucoup aux questions d’agronomie. Plusieurs sources nous renseignent sur l’activité agricole déployée par Maurice durant les années 1870, concernant les productions céréalières ou l’élevage. Cette activité en particulier le passionna au point de présenter certaines des bêtes de La Chicoterie à des concours. Dans une lettre adressée à la Société d’Agriculture de l’Indre au printemps 1870, Maurice Sand exprime son souhait de « concourir à la grande médaille d’honneur pour l’exploitation par moi-même de l’un de mes domaines, celui de La Chicoterie (commune de Nohant-Vic)… ». Il voudrait aussi participer au concours agricole organisé par la société à La Châtre les 6 et 7 juin, afin d’y présenter « un taureau reproducteur de 18 mois, race du pays ; deux béliers, l’un de 3 ans, l’autre d’un an, race de Crevant ; 12 agneaux et agnelles, de 4 à 5 mois. Le tout provenant de chez moi, élevage… » (2). George Sand nous renseigne sur le fait que le taureau au moins a bien été présenté à ce concours, sans remporter de prix toutefois.

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A la mort de sa mère, Maurice hérita de La Chicoterie. Déjà propriétaire de Launières, Maurice devenait donc en 1876 le plus grand propriétaire foncier de la commune. Il vendit le domaine de La Chicoterie petit à petit ; quelques parcelles furent rattachées à la réserve.

 

Avec la mort de George Sand, et la succession qui s’en suivit entre ses deux enfants, le grand domaine hérité de la féodalité, dont elle avait été toute sa vie la propriétaire, se morcela. Si de grandes surfaces furent achetées par quelques grands propriétaires, bien des parcelles passèrent entre les mains de plusieurs villageois de Nohant-Vic. Entre la fin de l’Ancien Régime et le début de la Troisième République, il aura donc fallu presque 100 ans pour que la terre change de mains.

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Les bâtiments de La Chicoterie photographiés par Gabrielle Sand dans les années 1900.

© CMN/Jean-Luc Paillé

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​La Chicoterie peinte par Raoul Adam

Avec la mort de George Sand, et la succession qui s’en suivit entre ses deux enfants, le grand domaine hérité de la féodalité, dont elle avait été toute sa vie la propriétaire, se morcela. Si de grandes surfaces furent achetées par quelques grands propriétaires, bien des parcelles passèrent entre les mains de plusieurs villageois de Nohant-Vic. Entre la fin de l’Ancien Régime et le début de la Troisième République, il aura donc fallu presque 100 ans pour que la terre change de mains.

 

 

  1. Ces documents d’archives appartiennent aux fonds d’archives de la Maison de George Sand ; ils sont conservés aux Archives départementales de l’Indre, en dépôt. Leur consultation est soumise à autorisation.

  2. Lettre autographe de Maurice Sand, fonds Joseph Thibault, Archives départementales de l’Indre.

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